CH02 Économie de la culture et du spectacle vivant

Les « biens culturels » avant d’être consommés, avec des différences selon l’âge ou le milieu social des consommateurs comme nous l’avons vu au chapitre précèdent, doivent être produits. C’est l’objet de l’économie de la culture d’étudier ces activités de production qui peuvent prendre des formes très diverses, marchandes et non marchandes notamment.

Les « biens culturels » avant d’être consommés, avec des différences selon l’âge ou le milieu social des consommateurs comme nous l’avons vu au chapitre précèdent, doivent être produits. C’est l’objet de l’économie de la culture d’étudier ces activités de production qui peuvent prendre des formes très diverses, marchandes et non marchandes notamment.

1. Des activités économiques qui ont un poids important dans l’économie et l’emploi français.

Pour mesurer l’importance de la culture dans l’économie, il faut d’abord délimiter ce qu’est un bien culturel… ce qui n’est pas chose aisée. Quoi qu’il en soit, les « biens culturels » regroupent des biens très divers mais aussi des services. Ils forment un secteur économique relativement important aujourd’hui et qui a tendance à se développer : il est porteur de nombreux emplois.

Pour mesurer l’importance de la culture dans l’économie, il faut d’abord délimiter ce qu’est un bien culturel… ce qui n’est pas chose aisée. Quoi qu’il en soit, les « biens culturels » regroupent des biens très divers mais aussi des services. Ils forment un secteur économique relativement important aujourd’hui et qui a tendance à se développer : il est porteur de nombreux emplois.

1.1. Qu’est-ce qu’un bien culturel ? La diversité des biens et services culturels n’empêche pas de mettre en avant l’existence de quelques points communs.

1.1.1. Les caractéristiques des biens culturels du point de vue économique.

Les « biens culturels » comprennent tout d’abord de nombreux biens, que vous connaissez, comme des CD, des DVD, des séries en ligne des instruments de musique, des livres de natures diverses (pièces de théâtre, romans, poèmes, etc.) mais aussi des services offerts comme des spectacles de danse, des pièces de théâtre ou la mise en spectacle de monuments historiques, etc. Parfois, ils peuvent même être un simple projet ! Des collectionneurs d’œuvre d’art peuvent ainsi n’acheter que des descriptifs d’œuvres (une sculpture par exemple) jamais construites (car coûteuses ou complexes à produire et à exposer) !! Retenons simplement tout d’abord que les « biens » culturels sont en réalité des biens et des services.

Ensuite, il ne s’agit pas, évidemment, de n’importe quel bien ou service : l’artiste crée quelque chose de nouveau. Il faut effectivement un acte créateur sachant qu’une même création de nature artistique peut être diffusée de différentes façons, être « consommée » sur des supports très variés (livre, téléviseur, smartphone à partir d’un fichier numérique pour un film par exemple). Attention donc : ce n’est pas le support qui permet de qualifier un « bien » d’artistique mais la création elle-même, non pas le livre en tant qu’objet mais le texte imprimé, œuvre originale de l’esprit comme disent les juristes, non pas le CD mais les chansons, opéras etc. enregistrés sur ce CD. L’acte créatif est donc fondamental, et ne doit pas être assimilé au support. De ce point de vue, il a donc un caractère unique même si ces œuvres uniques peuvent, pour certaines, être reproductibles comme une chanson sur un CD, d’autres non comme une sculpture ; le support est reproductible et non la création elle-même. Bien sûr, de nombreux autres biens et services, que les biens culturels, nécessitent une création : une voiture, une machine à laver, un procédé de communication téléphonique ont pour origine une ou des inventions, une création humaine.

Un bien culturel doit donc avoir d’autres caractéristiques plus particulières et fondamentales. Les économistes estiment qu’un bien culturel n’a pas forcément un utilité matérielle précise, ne répond pas à un besoin matériel comme se nourrir, se déplacer, etc. Un bien culturel a, en revanche, une valeur esthétique : il s’agit d’une création qui vise le « beau », qui a une prétention esthétique (y compris d'ailleurs dans la dénonciation de la cruauté de notre monde ou de sa laideur). Cette valeur esthétique dépend, bien sûr, de ce que la société estime comme étant de l’art (les peintures rupestres sont-elles de l’art ?) mais aussi de sa mise en scène. Par exemple, lorsque Marcel Duchamp déplace un urinoir dans un musée, il perd son utilité matérielle et devient une œuvre d’art ! Différentes institutions (musées, conservatoires…), des critiques et des historiens d’art définissent ce qu’est l’art, ce qui est source de désaccords entre eux… et de difficultés pour l’économiste ou le statisticien !

Si, du point de vue économique, les individus qui « consomment » ces produits en retirent une satisfaction esthétique, l’œuvre d’art a aussi une valeur en elle-même. Un poème non lu, une composition musicale non écoutée n’en sont pas moins des œuvres d’art, des biens culturels : ils ont été créés, produits. Évidemment ils ne seront pas valorisés économiquement comme les œuvres les plus écoutées, les plus regardées : leur valeur artistique dépasse leur valeur monétaire. Mais, on pourrait presque aller au-delà et avancer que le bien culturel reçoit autant qu’il ne donne au spectateur : admirer une peinture dans un musée est une sorte d’hommage que lui rend le spectateur (« on va voir la Joconde » !).

Enfin, dernière caractéristique souvent mise en avant par les économistes (et les sociologues) : l’incertitude sur la qualité du bien culturel. Du côté du créateur cela prend la forme d’un doute sur le résultat de son travail voire sur son achèvement : l’œuvre d’art est-elle vraiment achevée, est-elle vraiment parfaite ? Du côté du consommateur, l’incertitude se forme sur le plaisir, la satisfaction, le bien-être, comme disent les économistes, que peut lui procurer le bien en question : est-ce que le spectacle, le film, le concert seront intéressants, seront beaux, etc. ? Appréciera-t-on autant que cela la Joconde ? On parle parfois de bien d’expérience. En effet, seul l’achat du bien ou du service permet de « consommer » le bien culturel en question et de savoir, après coup, si l’on en retire de la satisfaction : parfois même, la consommation doit être répétée pour en éprouver une certaine satisfaction ! Un bien culturel est plus que d’autres biens sans doute, un bien d’expérience.

Tableau distinguant les biens culturels d’autres biens

Le tableau suivant permet peut-être de mieux distinguer un bien classique d’un bien culturel même si évidement, entre ces situations extrêmes, se situe une foule de biens et services plus proches des biens culturels que des autres biens : on est plus dans un continuum que dans une distinction nette et indiscutable comme pourrait le suggérer le tableau suivant :

TableauCaracteristiquesBiensCulturels

Commentons ce tableau : un bien culturel est donc un objet esthétique (c’est la distinction entre les deux colonnes) ; il a pour base une œuvre d’art créée. L’œuvre d’art est a priori une création unique et n’est donc pas forcément reproductible. Toutefois, certains biens peuvent être considérés comme culturels alors qu’ils sont être en partie reproductibles non seulement selon le support mais du point de vue créatif lui-même (ce qui apparaît sur la première ligne du tableau). En effet, certaines formes de création artistique s’appuient parfois sur des modèles connus qu’il faut seulement renouveler : c’est le cas des séries télévisuelles ou des émissions de variété. On est dès lors plutôt dans, ce que l’on appelle, le monde des industries culturelles (le cinéma, la musique, la « littérature » de nature commerciale autant qu’esthétique). Les conventions permettant cette reproductibilité ont plutôt une nature commerciale. De ce fait, on peut distinguer ces biens culturels que l’on pourrait nommer « impurs » des biens culturels « purs » qui, eux, ne sont pas reproductibles. Précisons que, pour ces derniers, leur caractère non reproductible (du point de vue esthétique) n’empêche pas l’existence de « conventions de groupe » permettant de rapprocher certaines œuvres ; mais ces conventions sont de nature esthétique plus que commerciale (les impressionnistes, les sonnets ou l’opéra par exemple) et laissent ouvertes la création propre de l’artiste comme membre particulier d’un courant esthétique.

Enfin, en croisant ces deux critères avec le caractère incertain de la satisfaction apportée par le produit, on peut faire d’autres distinctions qui permettent par exemple de séparer l’artisanat d’art de la peinture ou la sculpture. Un produit de l’artisanat d’art peut être vu et apprécié dans une boutique avant d’être acheté ce qui n’est pas le cas de l’art proprement dit : on ne peut voir et apprécier les tableaux, les sculptures qu’après avoir acheté son billet d’entrée au musée même si les galeristes essaient de combler cette difficulté avec de nouveaux créateurs.

Quoi qu’il en soit de ces classements forcément discutables, un bien culturel conjugue l’intérêt esthétique plutôt qu’utilitaire, l’incertitude quant à sa qualité non seulement pour le consommateur mais pour le producteur lui-même et, enfin, son caractère unique, nouveau.

1.1.2. Les biens culturels dans les enquêtes de l’INSEE et du ministère de la culture : le point de vue statistique, base de la connaissance empirique.

- Les sociologues, notamment Howard Becker, et les économistes estiment qu’un œuvre d’art ou un bien culturel nécessite l’activité de nombreux agents économiques, au-delà « du créateur » lui-même. Ils participent à la production sans forcément être « le » créateur. Par exemple, dans la musique, la musique doit être jouée : il faut des instruments, des chanteurs, des salles de spectacles, des CD, des radios, etc. Autre exemple : dans la danse, le créateur est le chorégraphe mais il est bien aidé dans sa création, vous le savez, par les danseurs ; là encore, la diffusion d’un spectacle de danse nécessite aussi des salles de spectacles, des régisseurs, etc. Donc, les activités culturelles comme toute activité, ont un caractère collectif : il faut donc en tenir compte. Les données statistiques de l’INSEE et du ministère de la culture tiennent compte de ce fait et intègrent une grande diversité de productions dans le monde de la culture.

- Le graphique suivant présente l’ensemble des activités de nature culturelle qui sont à la base des données statistiques permettant d’analyser l’économie de la culture.

ConceptionDomainedelaculture

- Vous le voyez, cette appréhension statistique de la culture est extrêmement large. Précisons un peu les choses. En matière de consommation, la délimitation des consommations culturelles est concrètement assez complexe. Par exemple, dans le domaine du livre et de la lecture, vous pouvez acheter un livre de poésie, qui relève incontestablement de l’art et de la culture, comme un livre d’annales de mathématiques, dont l’aspect artistique est bien absent (ce n’est évidemment pas son objectif !). De même, la distinction entre une activité de loisir non culturelle et une activité culturelle de loisir peut être ténue : un spectacle de cirque peut-il être considéré comme un spectacle artistique ? Dès lors, l’INSEE a créé un poste de consommation assez large nommé « communication, loisirs et culture » qui est décomposé en « loisirs et culture » d’un côté et en « communication » de l’autre (dans les communications se trouve par exemple l’achat de matériel électronique qui permet d’écouter de la musique ; il y a donc bien un lien avec les activités culturelles et artistiques). Rentrons de manière plus précise dans les détails. Parmi les « loisirs et culture », se trouvent les consommations suivantes : « activités créatives, artistiques et de spectacle », « bibliothèques, archives, musées et autres activités culturelles » mais aussi « organisation de jeux de hasard et d'argent » et, enfin, « activités sportives, récréatives et de loisirs ». Ces regroupements montrent le caractère conventionnel des délimitations de ce type de classement et nécessite de la prudence dans les analyses selon que l’on utilise le « poste » entier « communication, loisirs et culture » ou des « sous-postes ».

Notons enfin que l’évolution de la façon de consommer des ménages perturbe aussi la qualité des données : les achats par internet de biens culturels ne sont pas tous comptabilisés, par exemple lorsqu’ils passent par des entreprises étrangères, non implantées en France ; plus encore peut-être, la possibilité légale ou illégale de consommer gratuitement des produits culturels sous-estime sans doute l’importance de la consommation culturelle.

- Après la consommation de biens culturels, passons maintenant à la production de biens culturels. Du point de vue de la production, il existe le même type de regroupement que pour la consommation. Ainsi, la production des « arts, spectacles et activités récréatives » au sens strict comprend une très grande diversité d’activités productives qui ne se limitent pas aux activités directement artistiques des artistes eux-mêmes mais comprennent par exemple des activités techniques réalisées dans le domaine artistique : c’est le cas des activités de soutien comme le montage des structures ou l’exploitation de salles de spectacles mais aussi l’exploitation de salles de concert. Les activités liées à la lecture publique (au sein de bibliothèques) ou aux monuments (objets de visites) font partie aussi traditionnellement de la production artistique. Il s’agit par exemple de la gestion de musées de toute sorte, que ce soit les musées d’art ou les musées militaires (!) mais aussi… la gestion des jardins botaniques et zoologiques ! Même au sens strict, la production de nature culturelle regroupe donc des productions très diverses et connait des frontières relativement floues avec d’autres activités, notamment celles qui seraient uniquement divertissantes.

Toutefois, vous le voyez, la production culturelle ainsi délimitée ne comprend que des services. Or, de nombreux biens, non comptabilisés ici donc, sont importants dans les activités artistiques et culturelles : téléviseurs, livres (leur fabrication plus précisément), ordinateurs, smartphones, CD. Cette production de biens est mélangée statistiquement avec de nombreux autres biens (en dehors donc des activités dites culturelles) dans la branche « imprimerie et impression » par exemple ou dans la production de « produits informatiques, électroniques et optiques ». Il faudrait tenir compte de la production d’instruments de musique qui est classée dans les « autres industries » avec les articles de joaillerie mais aussi de tutus, de chaussons de danse, etc. Il est donc délicat de suivre très rigoureusement l’ensemble de la production culturelle en utilisant les seules données de l’INSEE, assez générales. Ce sont, en fait, les services statistiques du ministère de la culture qui, à partir de ces données, établissent des statistiques plus centrées sur les seules activités artistiques.

Cette diversité des biens et services culturels signifie aussi une diversité dans la nature économique de la production réalisée qui est évidente dans le domaine culturel : le rôle des individus est fondamental mais aussi celui d’entreprises, d’associations ou d’établissements publics. Cette diversité correspond aussi à une diversité d’objectifs, nous le verrons en détail. Peut-on comparer l’activité d’un cinéma associatif et celle de Pathé Gaumont ou, pour changer de domaine, l’activité d’un plasticien ou celle d’une bibliothèque municipale ? Une distinction importante en économie oppose, vous le savez, la production marchande et la production non marchande. Rappelons que la production marchande est une production vendue sur un marché à un prix économiquement significatif : l’objectif est donc de gagner des revenus de cette activité qui en compensent les coûts. C’est bien sûr le cas des cinémas UGC. À l’inverse, la production non marchande est une production offerte gratuitement ou quasi gratuitement (conventionnellement, lorsque le prix de vente est inférieur à la moitié du coût unitaire de production c’est-à-dire des dépenses pour produire une unité d’un bien). C’est le cas d’un cinéma associatif.

1.2. La culture est un secteur d’activité important en France.

1.2.1. Qu’est-ce que la culture savante ou légitime ?

Culture savante, lettrée mais aussi haute culture définissent un premier type de culture. Cette culture valorise des dispositions spécifiques comme l'ascétisme, la maîtrise de soi dans l'appréciation des œuvres d’art d'où l'expression parfois de culture froide. Elle valorise aussi certaines connaissances des arts les plus élevés liées à une éducation particulière qui permet de les comprendre et de les apprécier : dans un poème connaitre la mythologie grecque peut permettre de mieux apprécier certains vers. C'est en ce sens que l'on parle de culture savante : apprécier une œuvre, l’interpréter, pouvoir faire des discours sur elle nécessite des connaissances, des compétences. Cette haute culture correspond ainsi dans la musique à la musique classique, à l'opéra, dans la littérature et le théâtre aux auteurs devenus des classiques comme Molière, Racine, Hugo, Baudelaire, Proust, etc. Dans la danse, il s'agit bien évidemment de la danse classique et des ballets. Pour le cinéma, on peut penser au cinéma dit d' « auteur » diffusé dans des salles de cinéma d'art et d'essai avec des réalisateurs comme Jean-Luc Godard ou François Truffaut.

1.2.2. Le poids économique indirect de la culture : les effets multiplicateurs des évènements culturels.

En plus du poids direct en termes de milliards d’euros de production réalisée chaque année et donc de milliards d’euros de revenus distribués et de plusieurs centaines de milliers d’emplois offerts, le secteur de la culture a des effets économiques indirects. En effet, la production de biens et services culturels nécessite des achats à des entreprises d’autres secteurs d’activité qui voient ainsi leur production et leurs emplois augmenter et donc, aussi, des revenus distribués. Par exemple, si une entreprise de fabrication d’instruments de musique se crée sur un territoire, elle développera des relations économiques avec d’autres agents économiques de son environnement : les salariés tout d’abord, obtiendront des revenus qu’ils dépenseront ce qui engendrera une hausse des débouchés pour les entreprises offrant des biens et services de consommation. Cette entreprise devra acheter des biens et services à d’autres entreprises (des biens intermédiaires dont les matières premières font partie, comme le bois, ainsi que des machines, de l’outillage, etc.). Elle devra aussi nouer des liens avec une banque, une compagnie d’assurance, une société de comptabilité, etc. Bref, de nombreuses entreprises verront leur production augmenter ainsi que leurs emplois et leurs revenus. Cette distribution de revenus supplémentaires se traduira par de nouveaux achats etc. On qualifie ces effets indirects d’effet multiplicateur. Des économistes ont tenté de le mesurer mais, évidemment, avec beaucoup d’incertitudes : selon certaines études, il serait aux alentours de 1,5 ce qui signifie qu’une dépense culturelle d’1 million d’euros se traduit par une augmentation de 1,5 million de la production et des revenus. On perçoit donc l’intérêt économique des activités culturelles par exemple pour une municipalité : le financement de salles de spectacles, de festivals, etc. non seulement répond à une demande des ménages mais développe aussi l’activité économique de la ville ou du territoire. Toutefois, dans ces analyses, il faudrait tenir compte aussi de ce que les économistes appellent le coût d’opportunité de ces dépenses culturelles : si le million d’euros avait été utilisé pour d’autres dépenses, des effets indirects différents se seraient produits, peut-être moins importants mais peut-être plus importants. Quoi qu’il en soit, à partir d’un effet multiplicateur estimé à 1,5, une évaluation des effets économiques des nombreuses annulations des festivals lors du COVID a été réalisée par Emmanuel Négrier : d’après lui, la perte économique aurait été entre 1,53 et 1,8 milliards d’euros. On saisit donc a contrario l’importance économique des activités culturelles.

1.3. L’évolution du poids de la culture dans l’économie française.

1.3.1. L’augmentation des dépenses culturelles : faits et explications.

Nous venons de voir l’importance de la culture comme secteur économique. Mais quelle est sa dynamique ? Est-ce un secteur d’activité en régression, en déclin, vieillissant ou au contraire nouveau, en progression ?

C’est en grande partie l’évolution de la demande de biens culturels qui détermine sa dynamique : les individus consomment-ils ou veulent-ils consommer de plus en plus des biens culturels ce qui nécessiterait une progression de leur production ou, au contraire, en désirent-ils de moins en moins ? Depuis 1960, d’après l’INSEE, la consommation de biens culturels a connu une progression assez forte. Elle a en effet été multipliée par environ 50 en euros courants (mais cette augmentation est à nuancer car l’ensemble des prix ont été multipliés par 10 environ) ! En réalité, il s’agit d’une augmentation qui est du même ordre que l’augmentation de la consommation totale des ménages. En proportion de la consommation totale des ménages, la part des dépenses culturelles est restée à peu près stable, autour de 6 %.

Deux évolutions essentielles permettent d’expliquer économiquement cette multiplication par 50 des dépenses de « loisirs et culture » : la hausse du niveau de vie et l’augmentation du temps libre de la population. En effet, ce type de dépenses, ne couvrant pas des besoins essentiels, n’a pu se développer fortement qu’une fois les besoins essentiels quasiment satisfaits pour une grande partie de la population. Or, la période des Trente glorieuses a été un moment de forte croissance économique, c’est-à-dire de hausse de la production (mesurée par le PIB), et donc des revenus (toute hausse de la production se traduit par une hausse des revenus notamment de ceux qui participent à l’activité de production, salariés comme propriétaires des entreprises). Cette hausse des revenus n’a pas concerné uniquement les classes supérieures mais aussi les classes moyennes et les classes populaires. Grâce à la hausse du niveau de vie de l’ensemble des ménages, les dépenses de consommation culturelle ont pu croître.

Deuxième évolution ayant facilité l’augmentation des dépenses de « loisirs et culture » : la hausse du temps libre liée à la baisse du temps de travail. En 1949, la durée annuelle de travail était d’environ 1 844,8 heures d’après l’INSEE pour passer à 1 422,7 heures en 2016 : une baisse de 422,1 heures ou de 22,9 %. Cette baisse du temps de travail a ainsi dégagé du temps pour se distraire et, notamment, aller voir des spectacles, aller au cinéma ou regarder la télévision (le taux d’équipement en téléviseur est passé de moins de 10 % dans les années 1950 à plus de 90 % aujourd’hui !).

Depuis les années 1960, la stabilité de la part des dépenses de « loisirs et culture » dans les dépenses totales de consommation cache non seulement une forte hausse des dépenses culturelles mais aussi des transformations très importantes des différents types de dépenses culturelles :

ConsommationBiensServicesCulturels1958-2015

Globalement, on constate une baisse importante de la part de l’écrit dans les pratiques culturelles et de loisirs des français (livres, revues, journaux, c’est-à-dire les trois premières « couches » de base du graphique). Ainsi, la baisse de la part des livres dans la consommation de biens et services culturels s’est déroulée surtout depuis 1980 puisqu’elle est passée d’environ 21 % en 1980 à environ 18 % en 2015. De même, la part des dépenses des journaux et périodiques dans la consommation de biens et services culturels est passée d’environ 48 % en 1959 à environ 30 % en 2015 soit une baisse de 18 points. On constate aussi une baisse de la part des CD et DVD ? et de la fréquentation des cinémas dans la consommation de biens et services culturels. À l’opposé, la « consommation » de programmes télévisés a très fortement augmenté, sa part dans la consommation de biens et services culturels passant de 6,5 % en 1959 environ à plus de 18 % en 2015 soit une multiplication par presque 3 ; de même, la part des activités récréatives, artistiques et de spectacle dans la consommation de biens et services culturels est passée d’un peu plus de 7 % en 1959 à plus de 18 %. La baisse de l’écrit semble donc se faire au profit des « écrans » (nécessitant d’ailleurs téléviseurs, ordinateurs, smartphones dont les achats occupent une part de plus en plus importante des dépenses des ménages) et des sorties culturelles.

1.3.2. L’augmentation de la production et l’emploi culturels : faits et explications.

L’augmentation de la consommation de biens culturels nécessite forcément une augmentation de la production et de l’emploi (d’autant que la productivité des travailleurs dans ce secteur n’augmente que faiblement, nous le verrons bientôt). Ainsi, la production dans le domaine des « arts, spectacles et activités récréatives » a bien plus augmenté que le PIB de la France : le PIB de la France a été multiplié par un plus de 5 entre 1960 et 2019 tandis que la valeur ajoutée des « arts, spectacles et activités récréatives » a, elle, été multipliée par plus de 14 !

Cette augmentation de la production dans les « arts, spectacles et activités récréatives » nécessite logiquement une augmentation du nombre d’emplois : pour produire plus, il faut évidemment plus de travailleurs et d’emplois. Si le nombre total d’emplois en France a augmenté de 27 % de 1960 à 2019, le nombre d’emplois dans les « arts, spectacles et activités récréatives » a été multiplié par 2,75 soit une augmentation de 175 %. Le secteur des « arts, spectacles et activités récréatives » a donc été un secteur très recruteur depuis les années 1960 même s’il connait une stabilisation depuis le milieu des années 2010 et si ces emplois diffèrent sensiblement des emplois types (CDI à temps plein avec un seul employeur) comme nous l’étudierons aussi plus loin.

Résumons : l’augmentation de la consommation de biens culturels, liée à une hausse des revenus et du temps libre, a nécessité une augmentation de leur production et donc de l’emploi dans le secteur de la culture.