CH01 : Sociologie des pratiques culturelles

La notion de culture a plusieurs sens. Tout d'abord, la culture a un sens sociologique : elle correspond à des manières spécifiques de faire, de penser, de sentir d'une collectivité humaine. Ainsi, pour le sociologue Guy Rocher, la culture est « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. » Ainsi, il serait possible de distinguer des cultures nationales (comme des cultures anglosaxonnes ou continentales pour l’Europe), régionales (culture corse ou basque par exemple) ou des cultures de classes (culture de la classe ouvrière ou de la grande bourgeoisie). Cependant la culture peut aussi être comprise de manière bien moins large, y compris par les sociologues : elle peut être considérée comme une activité humaine de production de connaissances intellectuelles et artistiques ou bien, pour reprendre la définition du sociologue Philippe Coulangeon, comme un « domaine spécialisé des activités expressives, savantes ou populaires ». La sociologie étant essentiellement basée sur des enquêtes, une autre distinction doit être faite du point de vue de la mesure des pratiques sociales liées à ces « activités expressives ». En effet, l’INSEE qui, vous le savez peut-être, fournit de nombreuses données statistiques sur les pratiques et comportements des individus, regroupe souvent dans ses questionnaires des pratiques dites de loisir et des pratiques culturelles comme aller à la pêche, acheter un appareil photo, aller à un concert, acheter un livre, etc. Dès lors, des conventions sont nécessaires pour distinguer pratiques ou dépenses de loisir et pratiques ou dépenses plus proprement culturelles. C’est que nous verrons tout d’abord. Dans un deuxième temps nous mettrons en évidence la diversité des pratiques culturelles selon les milieux sociaux puisque vous le savez (vous l’avez étudié en classe de 2nde en SES) la société est différenciée notamment en groupes socioprofessionnels. Enfin, nous présenterons d’autres facteurs de différenciation des pratiques culturelles comme la taille de l’agglomération, l’âge, etc.

La notion de culture a plusieurs sens. Tout d'abord, la culture a un sens sociologique : elle correspond à des manières spécifiques de faire, de penser, de sentir d'une collectivité humaine. Ainsi, pour le sociologue Guy Rocher, la culture est « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte. » Ainsi, il serait possible de distinguer des cultures nationales (comme des cultures anglosaxonnes ou continentales pour l’Europe), régionales (culture corse ou basque par exemple) ou des cultures de classes (culture de la classe ouvrière ou de la grande bourgeoisie).

Cependant la culture peut aussi être comprise de manière bien moins large, y compris par les sociologues : elle peut être considérée comme une activité humaine de production de connaissances intellectuelles et artistiques ou bien, pour reprendre la définition du sociologue Philippe Coulangeon, comme un « domaine spécialisé des activités expressives, savantes ou populaires ».

La sociologie étant essentiellement basée sur des enquêtes, une autre distinction doit être faite du point de vue de la mesure des pratiques sociales liées à ces « activités expressives ». En effet, l’INSEE qui, vous le savez peut-être, fournit de nombreuses données statistiques sur les pratiques et comportements des individus, regroupe souvent dans ses questionnaires des pratiques dites de loisir et des pratiques culturelles comme aller à la pêche, acheter un appareil photo, aller à un concert, acheter un livre, etc. Dès lors, des conventions sont nécessaires pour distinguer pratiques ou dépenses de loisir et pratiques ou dépenses plus proprement culturelles. C’est que nous verrons tout d’abord. Dans un deuxième temps nous mettrons en évidence la diversité des pratiques culturelles selon les milieux sociaux puisque vous le savez (vous l’avez étudié en classe de 2nde en SES) la société est différenciée notamment en groupes socioprofessionnels. Enfin, nous présenterons d’autres facteurs de différenciation des pratiques culturelles comme la taille de l’agglomération, l’âge, etc.

1. Les pratiques culturelles peuvent être très diverses : du divertissement à la culture sérieuse, savante.

1.1. Des activités et des pratiques hors du monde du travail : dépenses de consommation et activités exercées.

1.1.1. Une première distinction importante aux frontières fragiles : loisir et culture.

En dehors du monde du travail, les individus ont de multiples activités : lecture, sport, jardinage, etc. Les enquêtes de l’INSEE permettent de connaitre l’importance de ces activités de loisirs et de culture : c’est ainsi qu’il les nomme. Le tableau suivant indique ainsi les dépenses des ménages dans ces domaines en France, en 2020.

Tableau 1 : Dépenses de loisirs et culturelles en France en 2020

Type de dépense

En millions d'euros

En %

Jardinage, animaux de compagnie

14 867

16,5

Jeux, jouets, articles de sport

13 718

15,3

Presse, livres et papeterie

13 208

14,7

Services culturels1

10 393

11,6

Jeux de hasard

9 810

10,9

Services récréatifs et sportifs2

8 839

9,8

Télévision, hi-fi, vidéo, photo

7 268

8,1

Autres biens durables culturels et récréatifs

5 598

6,2

Informatique

4 842

5,4

Disques, cassettes, pellicules photo

1382

1,5

Ensemble

89 925

100,0

  1. Cinéma, spectacles Vivants, musées, abonnements audiovisuels, développements de tirage de photos, etc.
  2. Sport, location de matériel sportif, fêtes foraines, parcs d'attractions, voyages à forfait, week-ends, etc.

Champ : France.

Source: Insee, comptes nationaux - base 2014.

Vous voyez par exemple apparaître des dépenses de services culturels qui se distinguent des dépenses de jardinage (achat d’engrais par exemple) mais aussi des achats de « livres ». Différencier les pratiques culturelles et de loisirs peut ainsi sembler relativement simple : services culturels et biens culturels d’un côté et produits de simple loisir. Toutefois, lorsque l’on rentre dans le détail, la différenciation n’est plus aussi évidente. Le jardinage ne permet-il pas d’avoir des activités créatives, de nature esthétique, artistique ? De plus, quoi de commun entre lire un roman ou des contes de Maupassant et un livre de sur le bricolage ? Quoi qu’il en soit, il n’est pas sans intérêt d’avoir quelques points de repères et quelques ordres de grandeur, savoir ainsi que les dépenses de services culturels s'élevaient à plus de 10 milliards d'euros en 2020 et représentaient plus de 10 % des dépenses totales des ménages. Pour s’en tenir aux dépenses culturelles, il faudrait ajouter aux dépenses en services culturels et en livres, presse et papèterie des achats de biens comme les « télévision, hi-fi, etc. » mais aussi de « disques, etc. ». Nous verrons que des enquêtes du Ministère de la Culture permettent de préciser certains aspects de ces dépenses culturelles car elles regroupent des dépenses qui apparaissent plus de l’ordre de la culture.

1.1.2. Une seconde distinction importante : dépenses de consommation et activité.

Les enquêtes en question mettent aussi en évidence une caractéristique des pratiques culturelles : elles ne sont pas seulement de la consommation de « biens » culturels (au sens, en réalité, de biens et services culturels) mais aussi des activités de nature culturelle dans lesquelles l’individu est plus actif, qui prennent donc du temps : suivre des cours de musique, d'histoire de l'art, pratiquer du théâtre ou de la musique en amateur, etc.

Ces enquêtes sont menées depuis plus de 40 ans par le ministère de la culture ; elles permettent de suivre toutes ces dépenses, toutes ces pratiques. Grâce à elles, on peut connaitre leurs évolutions.

Tableau 2 : Évolution des pratiques culturelles, 1973-2008-2018

En %

1973

2008

2018

Ecoutent de la musique (hors radio)

66

81

81

Regardent la télévision

93

98

94

Jouent aux jeux vidéo

n.d.

36

44

Ecoutent la radio

88

87

82

Ont lu au moins 1 livre (hors bande dessinée)

69

67

61

dont 20 et plus

28

14

15

Ont fréquenté une bibliothèque

n.d.

28

27

Sont inscrits dans une bibliothèque

13

19

15

Sont allés au cinéma

52

57

63

Ont assisté à un spectacle

33

42

43

dont : spectacle de danse

6

8

9

dont : spectacle de théâtre

12

19

21

dont : concert de musique classique

7

7

6

dont : Concert de rock ou jazz

7

14

11

dont : concert de jazz

n.d.

6

4

dont : spectacle de variétés

12

11

15

dont : spectacle de cirque

11

14

11

Ont visité un musée, une exposition ou un monument historique

33

37

44

Ont pratiqué en amateur:

30

50

39

musique ou chant (seul.e ou en groupe))

9

16

11

une activité autre que musicale

26

43

35

dont : écrire poèmes, nouvelles ...

3

6

4

dont : peinture, gravure, sculpture

4

9

8

dont : poterie

2

4

2

dont : théâtre

1

2

1

dont : danse

2

8

7

dont : photographie

18

24

19

Source: Philippe Lombardo et Loup Wolf, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Culture-Etude, 2020-2

Comme vous pouvez le voir, certaines activités culturelles déclinent et d'autres progressent au sein de la population. Ainsi, la proportion de personnes lisant des livres diminue alors que la proportion de personnes ayant d'autres types d’activités culturelles augmente comme l'écoute de la musique ou les sorties au cinéma, au spectacle mais aussi la visite de monuments, musées, expositions et cela depuis 1973. À côté de ce type de pratiques, existent des activités de nature artistique réalisées par les personnes elles-mêmes. Les enquêtes indiquent qu’elles ont plutôt tendance à se développer surtout jusqu'en 2008 : c'est le cas notamment de la pratique de la musique ou du chant comme de l'écriture de poèmes ou de nouvelles !

1.1.3. Le développement du numérique modifie l’accès aux pratiques culturelles : une consommation culturelle et des activités culturelles facilitées ?

Une innovation fondamentale est apparue et a des effets sur les pratiques culturelles : le numérique. Le développement de biens et de services de nature numérique a, en effet, profondément modifié la consommation de certains biens culturels qu’il s’agisse de musique bien évidemment mais aussi de cinéma. Au-delà des jeux vidéo qui forment plus une activité de loisir qu’une activité artistique et des réseaux sociaux numériques qui sont des activités de communication interpersonnelle, le numérique a favorisé une consommation quotidienne de la musique et cela quelle que soit la classe d’âge, contrairement à ce que l’on pourrait croire même s’il reste des différences très très importantes entre jeunes et plus âgés : d’après une étude du ministère de la culture [Philippe Lombardo et Lou Wolf, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Ministère de la culture, 2020], 85 % des 15-24 ans écoutaient quotidiennement de la musique contre 34 % des plus de 60 ans. Nous reviendrons sur ces questions de consommation culturelle selon l’âge mais aussi selon la génération plus loin.

Le numérique favorise aussi une autre façon de voir des films, des œuvres audiovisuelles : la consultation des vidéos en ligne est devenue plus fréquente que la consommation quotidienne de télévision. Ainsi, seulement 58 % des jeunes de 15-24 ans regardaient quotidiennement la télévision (c’était le cas de 79 % d’entre eux en 2008) ; de plus, plus d’un tiers de ces jeunes regardaient des programmes de la télévision sur d’autres supports qu’un téléviseur comme les smartphones et la moitié de ces jeunes regardaient des vidéos sur internet. Bref, la télé perd de son monopole.

Par ailleurs, mais nous y reviendrons, les producteurs s’adaptent à ces nouvelles formes de consommation y compris d’ailleurs pour la diffusion de spectacles vivants. Le graphique ci-dessous montre la façon de « consommer » les spectacles vivants selon la nature de ces spectacles :

Graphique 1 : Recoupement des publics de la culture in situ et en ligne en 2018

Culture in situ

Source : Philippe Lombardo et Lou Wolf, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, Ministère de la culture, 2020.

Vous pouvez donc voir qu’il y a presque autant de personnes assistant in situ à des spectacles de danse que de personnes y assistant en ligne (et cela avant la période de confinement lié à la crise du Covid-19). Pour les autres types de spectacle vivant, le développement comparé de visionnage en ligne semble moins important mais reste non négligeable quand même.

Les sociologues s’intéressent cependant tout autant voire même plus aux formes culturelles « transversales » dans chaque domaine (musique commerciale, cinéma commercial, etc.) pour étudier qui « consomme » quoi, qui pratique quoi. C’est ce que nous allons étudier maintenant.

1.2. La tradition sociologique distingue deux grandes formes de culture : culture savante, sérieuse (ou froide ou légitime) et culture populaire (ou chaude ou illégitime).

Une même pratique culturelle (l’écoute de la musique par exemple) peut avoir des dignifications très différentes : n’y a -t-il pas des différences importantes entre aller voir un concert de rap et assister à un opéra ? ou entre lire Ulysse de James Joyce et une BD des Bidochon ? Pour tenir compte de ces différences et en simplifiant forcément les situations, les historiens et les sociologues de l'art distinguent deux grandes formes de culture : la culture savante, sérieuse ou légitime d'un côté la culture populaire, de divertissement ou illégitime. C’est une distinction fondamentale quant à l’analyse sociologique des pratiques culturelles et artistiques.

Une même pratique culturelle (l’écoute de la musique par exemple) peut avoir des dignifications très différentes : n’y a -t-il pas des différences importantes entre aller voir un concert de rap et assister à un opéra ? ou entre lire Ulysse de James Joyce et une BD des Bidochon ? Pour tenir compte de ces différences et en simplifiant forcément les situations, les historiens et les sociologues de l'art distinguent deux grandes formes de culture : la culture savante, sérieuse ou légitime d'un côté la culture populaire, de divertissement ou illégitime. C’est une distinction fondamentale quant à l’analyse sociologique des pratiques culturelles et artistiques.

1.2.2. Qu’est-ce que la culture populaire ou illégitime ?

À l'inverse, la culture chaude, populaire valorise la participation des individus, l'expression corporelle d'un plaisir à partager, l'idée d'une convivialité. Il s'agit d'une culture du divertissement, de l'hédonisme. Elle ne demande donc pas un apprentissage particulier, une éducation particulière d'où l'idée de culture populaire, de sous-culture ou de basse culture. Cette forme de culture est donc une culture facile d'accès qui passe, par exemple aujourd’hui, par les médias courants comme la télévision ou la radio. Concernant la musique, il s'agit notamment de la variété française ou, dans l’audiovisuel, des différents téléfilms populaires, français ou américains, diffusés sur les chaînes de télévision. Pour le cinéma, on peut citer les films comiques, d'aventure, de combats (kung-fu, etc.) ou policier. La danse est plutôt considérée plus comme une pratique sur des musiques qui permettent de se défouler, de se distraire, de rencontrer des gens, par exemple, dans des boites de nuit qu’un spectacle que l’on regarde : elle doit avoir une fonction autre qu’esthétique.

1.2.3. Qu’est ce que la culture de masse ?

Souvent synonyme de culture populaire, on appelle culture de masse une forme de culture qui s'adresse au plus grand nombre et qui est constituée par l'ensemble des productions de l'"industrie culturelle" et des pratiques qui leur sont liées. La culture de masse s'oppose à la culture classique, perçue comme élitiste. Elle se distingue des cultures nationale et scolaire qui sont imposées par le système politique et éducatif. Ne pouvant exercer aucune contrainte directe sur l'individu, elle doit recourir au désir et au plaisir pour exister, ce qui en fait une culture de divertissements et de loisirs. Étroitement liée, à la société de consommation et à la mondialisation, elle est portée par la publicité qui contribue à son financement. Vous le comprenez de nombreux objets culturels peuvent être considérés comme appartenant à la culture de masse : les films d'action, la musique pop, les émissions de téléréalité, les restaurants Mac Donald's.

La culture de masse s'est développée à partir du milieu du XIXe avec l'essor de la presse écrite et des journaux à grande diffusion, rendu possible par l'alphabétisation, la liberté de la presse et les progrès techniques pour l'impression et la diffusion. Depuis, la culture de masse n'a cessé d'évoluer avec l'arrivée des enregistrements sonores, du cinéma, de la radio, de la télévision, de la civilisation des loisirs, d'Internet, des supports numériques, etc. avec un poids toujours plus important de l'image dans les médias. Sociologues et philosophes reprochent à cette forme de culture qui touche les masses d’uniformiser les produits culturels, souvent d’origine américaine, tout en créant une illusion de choix, de créer des produits culturels abêtissants, provoquant une perte d’esprit critique non seulement chez les consommateurs mais aussi chez les créateurs. Cette culture de masse serait ainsi source d’aliénation, c’est-à­-dire d’asservissement à ce que les industries culturelles imposent comme occupation du temps libre, et finalement de dépolitisation des individus.

Pour Theodor W. Adorno (1903-1969), philosophe et musicologue, on ne peut pas la qualifier de culture car elle sert à vendre des produits : incursions produits dans les films ou elle sert de support de vente comme dans les téléréalités qui vantent certaines destinations : on n’est plus dans le monde de la culture, de l’esthétique, du beau mais dans celui du marketing et du profit.